Chères Consœurs, chers Confrères,
La période exceptionnelle que notre pays traverse depuis le printemps dernier a remis en lumière le rôle des commissaires aux comptes, insidieusement battu en brèche par PACTE. Nous avons donné des preuves manifestes et reconnues de notre utilité sociale aux côtés des entreprises et de l’ensemble des acteurs du tissu économique français.
La « trêve » estivale est propice non seulement à une prise de repos, mais aussi à une réflexion à tête reposée sur le devenir de notre profession. Je voudrais partager avec vous quelques convictions simples et fortes. Elles m’animent depuis longtemps et guideront les dernières semaines de mon mandat.
Malgré les menaces et les remises en cause auxquelles nous avons dû faire face, je crois profondément à l’avenir du modèle de l’audit à la française qui a démontré sa pertinence au fil du temps, comme je crois à la possibilité de son rétablissement à l’avenir, en réponse aux scandales financiers qui éclatent chez certains de nos voisins européens. Un rééquilibrage s’avèrera indispensable : le plus vite sera le mieux !
En attendant, nous ne devons pas baisser la garde. Bien des questions restent à trancher et des chantiers essentiels à mener à bien.
L’urgence absolue est de traiter les conséquences de la loi en matière de préservation des mandats.
Le combat doit porter notamment sur le développement de nouveaux services et de nouvelles ambitions, en particulier dans le domaine extra-financier où nous sommes parfaitement légitimes pour répondre à d’importantes attentes des marchés qui constituent autant d’enjeux de société.
Nous devons également livrer bataille pour la reconquête de l’opinion des chefs d’entreprise, dans un contexte très particulier où notre engagement exemplaire tout au long de la crise du COVID a significativement redistribué les cartes et renforcé notre image de marque et notre fierté collective. Cela démontre que l’écoute active et les réponses adaptées aux besoins détectés doivent être des réflexes cultivés sans relâche.
Au CAC cantonné dans un rôle de certificateur exposé à subir des évolutions législatives défavorables, substituons le CAC accompagnateur, facilitateur et proactif !
Nous avons pris acte de la levée de la séparation entre l’audit et le conseil, même si j’estime pour ma part que la France reviendra tôt ou tard sur ce principe de non-séparation dont nous constatons les effets préjudiciables à l’étranger.
Mais nous sommes conscients que, pour préserver ce « trésor » qu’est notre image d’indépendance, la mise en œuvre de cette mesure, instaurée par PACTE dans son article 21, doit s’effectuer dans un cadre juridique clair, sécurisé et exempt de toute équivoque.
Or, la doctrine relative au nouveau Code de déontologie n’est toujours pas publiée par la CNCC. Pourquoi un tel retard s’agissant d’un document aussi crucial pour sortir de la zone grise actuelle, source de bien des risques, ambiguïtés et mauvaises habitudes qui seront difficiles ensuite à corriger ?
De même, nous devons faire tout notre possible pour réaffirmer la pertinence du modèle du co-commissariat à la française. Cette disposition a fait ses preuves tout en étant largement combattue … jusqu’aux grands scandales apparus hors de nos frontières.
Le besoin de clarification concerne aussi et concomitamment la question des lignes de partage entre commissariat aux comptes et expertise comptable. Une nouvelle complémentarité s’instaure entre nos deux professions. Positive et stimulante si elle repose sur des bases claires, sur une création de valeur partagée, et sur les attentes du marché ; mais préoccupante et pernicieuse si ses règles ne sont pas équilibrées.
Ceux qui prophétisent la disparition du CAC libéral à la française, exerçant dans des structures à taille humaine et sachant s’adapter au changement, ceux-là se trompent, même si certaines apparences semblent leur donner raison. Notre rôle d’intérêt général est un rôle d’avenir, qui s’écrira à l’aune des besoins nouveaux et croissants de l’économie et d’une société en quête de transparence et sécurisation des données et des informations financières et extra-financières.
Il nous appartient de nous préparer à de nouveaux marchés, de nous former pour exercer de nouvelles missions, d’innover et d’aller de l’avant : de reprendre notre destin en main. À condition bien sûr que la montée en compétences soit la norme au sein de notre profession.
C’est particulièrement vrai dans le champ de la transformation digitale et des perspectives qu’offre pour nous le numérique.
Le débat sur la fraude et le blanchiment fait rage – le scandale Wirecard n’y est évidemment pas étranger. La digitalisation et l’intelligence artificielle (IA) nous procurent de nouvelles armes pour exercer au mieux nos missions, gagner en attractivité et répondre aux exigences professionnelles, techniques et éthiques qui s’imposent à nous dans un monde digitalisé.
Comme je vous l’écrivais en début d’année 2020, il est essentiel que nous assimilions sans complexe les avancées technologiques pour en faire des outils maîtrisés et pour continuer à promouvoir notre perception de la complexité des entreprises.
C’est dans cet esprit que la CRCC de Paris a noué un partenariat avec une start-up qui développe une technologie permettant de détecter fraudes et anomalies dans les FEC sur la base des modèles d’analyse prédictive et de machine learning. De même, elle a engagé des travaux dans la voie des technologies aux fortes incidences déontologiques, comme l’exploration du « commissariat aux algorithmes ».
Plus globalement, notre vocation de profession innovante et technophile s’exprime dans les travaux et projets du Lab50 auxquels vous apportez vos expertises et votre enthousiasme.
Je pourrais aussi vous entretenir de la question du positionnement institutionnel à l’heure où les prérogatives du H3C dans le domaine régalien s’étendent toujours davantage. Dans un souci de brièveté, je dirai ici simplement que cette situation pourrait renforcer le rôle naturel des Compagnies régionales dans le maintien de la cohésion et la proximité avec l’ensemble de ses membres et dans le lancement d’initiatives en prise directe avec les attentes des territoires.
Nul doute que les combats qui sont devant nous seront rudes et longs. Mais ils valent sans conteste d’être menés car ce qui est en jeu concourt à la force, à la fierté d’appartenance et à la raison de notre profession. Et je suis convaincu que nous les remporterons.
Excellent été à toutes et à tous et restez prudents !
Olivier Salustro,
Président de la CRCC de Paris