"Une nouvelle religion est en train de voir le jour : le culte de la transparence. Tout doit être transparent ! La transparence devient totale. Nos déplacements, nos achats, nos goûts, nos maladies, nos échanges, nos conversations, rien n’y échappe. Elle devient l’alpha et l’oméga de notre vie en société », relèvent avec effroi Denis Olivennes et Mathias Chichportich dans leur ouvrage Mortelle transparence (2018).
Des propos exagérés ? En tout cas, ils mettent en évidence la complexité de cette notion invoquée en permanence dans l’espace public et dans les médias, revendiquée dans le monde des entreprises, exigée dans nos vies privées de plus en plus soumises au joug des réseaux sociaux et des algorithmes qui savent tout de nous.
Une quête nécessaire et difficile
Complexe transparence ! Qualifier une personne de transparente, c’est lui adresser un compliment ou au contraire la déprécier. Soit on la juge droite et sans dissimulation, soit on la trouve insignifiante - on peut « voir au travers ». Intéressante ambivalence sémantique !
C’est au demeurant une nécessité morale de faire preuve de transparence. Et dire d’un individu qu’il n’est pas très transparent ne veut pas dire qu’on l’estime passionnant, mais qu’il fait des cachoteries et qu’on a du mal à percer sa vraie nature.
De là l’importance qui s’attache à la transparence dans la vie des affaires. A commencer par les affaires publiques, celles de l’Etat et des institutions, dont on réclame de ses représentants qu’ils fassent preuve de transparence dans leur action, dans leurs prises de parole, dans leur gestion financière …
Il en va de même pour la vie économique. Les entreprises sont tenues de présenter des comptes et des états financiers clairs, nets et sincères, donc sans opacité ni obscurité. Elles doivent rendre des comptes sur leurs réalisations et leurs projets, communiquer sans pratiquer l’équivoque, l’esquive et a fortiori le mensonge. Bref, elles doivent être transparentes !
Ce qui ne signifie nullement qu’elles doivent se mettre à nu. Elles ont droit à cultiver leur jardin secret. La transparence n’a de sens que si elle est encadrée et bien tempérée. Le citoyen n’a pas à vivre sous le regard permanent de la puissance publique – sinon on bascule dans la dictature et le contrôle des consciences. Les élus du peuple ont droit à une vie privée à l’abri des oreilles et des prunelles indiscrètes. Les entreprises n’ont pas à tout révéler de ce qu’elles font et projettent, même si elles doivent parler aux investisseurs, à leurs actionnaires, aux médias … Tout est question d’équilibre, de mesure et d’intentions.
Commissaires à la transparence
Transparence et confiance : ces deux mots riment et correspondent à merveille. La première est essentielle pour faire advenir et entretenir la seconde. Quel crédit accorder, par exemple, à des informations troubles, embrouillées, difficiles à déchiffrer, susceptibles d’avoir été maquillées, enjolivées, voire trafiquées ?
Comprendre, c’est avoir les idées claires à partir de données limpides dont on saisit bien les tenants et aboutissants. C’est pour cette raison que les gens n’ont pas confiance dans les algorithmes. Ils ne comprennent pas comment ils fonctionnent mais ils sont parfaitement conscients que ces outils d’une haute complexité technologique peuvent abriter des biais et servir des objectifs cachés à leurs utilisateurs.
Le commissaire aux comptes est l’homme de la transparence en matière comptable et financière. Quoique le mot « transparence » ne figure pas en toutes lettres dans le code de déontologie, la transparence est au cœur de ses missions et de sa raison d’être. Son « logiciel », son « algo », c’est de créer de la confiance dans les organisations qu’il accompagne en toute transparence. Sans oublier de prêcher l’exemple en dressant des rapports de transparence sur sa propre situation, comme le font nombre de cabinets.
Enfin, alors que la question de la certification des données et de la confiance dans les algorithmes se pose chaque jour de façon plus aiguë, le CAC, fort de ses savoir-faire et de sa culture de la data, a vocation à auditer les algorithmes. C’est un enjeu d’avenir pour la profession, et au-delà pour un monde digitalisé plus sûr et plus transparent. Transparence rime aussi avec clairvoyance.
Olivier Salustro,
Président de la CRCC de Paris